Ce petit oiseau m’est toujours apparu particulier, atypique. Son observation est passionnante. Le fait de le contempler au bord d’une rivière, ou au bord d’un lac comme le Léman lorsque l’hiver est très rigoureux, donne l’impression de découvrir un équilibriste ou un clown à deux pattes.
Originaire de Thoiry, dans le Pays de Gex, j’ai passé une partie de ma jeunesse au bord des rivières proches du domicile familial. Je prenais le vélo pour me rendre à l’Allondon, rivière frontalière avec la Suisse, qui se jette dans le Rhône. Il m’arrivait aussi d’aller arpenter les berges de l’Allemogne. C’est le début d’une aventure, la découverte de la nature et des oiseaux, comme le cincle plongeur.
De la famille des cinclidés, il vit à proximité des rivières d’Europe, d'Asie et d'Afrique du Nord. Toujours est-il qu’il ne peut pas vivre sans la présence de l’eau, mais pas n’importe laquelle. Il lui faut un cours d’eau rapide et ombragé, comme un torrent de montagne, où il trouvera tous les ingrédients pour vivre. Une rivière rapide, peu profonde, avec des rochers de différentes tailles, et avec une eau exempte de pollutions.
Si l’hiver est trop rigoureux, la présence de la glace et de la neige en montagne l’obligera à quitter momentanément son habitation pour rejoindre les bords de lacs en quête de nourriture.
Appelé parfois également merle d’eau (Cinclus cinclus), il pèse de 50 à 75 g à l’âge adulte et mesure 18 cm environ pour une envergure de 25 à 30 cm. Comme vous pouvez le voir, il n’est pas très grand, plutôt rondelet, possède une queue courte avec la gorge et la poitrine d’un blanc pur. Ceci tranche avec le reste du plumage, proche d’un marron foncé.
Lorsque je me balade au bord des cours d’eau, c’est le plus souvent grâce à son cri que je repère le cincle. C’est une suite de sons aigus et métalliques : un « tzitt » ou « tzett », souvent émis à l'envol, lorsqu’il vient d’être dérangé. Ceci peut s’apparenter à un cri d’alerte. Parfois, le chant peut durer plus de dix secondes, comme un babillage prolongé.
Dès le mois de janvier, les couples se forment. Les parades nuptiales sont présentes toute l’année, mais plus importantes aux mois de mars et d’avril. La femelle essaie de fuir les avances du mâle qui la courtise en chantant et dont la gestuelle fait penser à un clown. Il se déplace ou nage, à la façon d’un canard, autour d’elle. La femelle, séduite, réclame de la nourriture à son partenaire. À cette fin, elle va prendre une posture particulière : elle agite ses ailes et se replie sur elle-même. Le couple se forme alors définitivement, lors de l’échange de nourriture</>.
Le nid est construit de février à avril avec de la mousse, des feuilles et des branchages. Il présente une forme globuleuse, un peu comme un ballon, avec une entrée vers le bas soit sous un bloc rocheux, soit sous l’arche d’un pont, mais toujours en surplomb de l’eau. La femelle couve les œufs (4 à 6), qui vont éclore au bout de 16 jours. Les parents apportent une attention particulière à la propreté du nid. Notamment, ils enlèvent les sacs fécaux, pour éviter que les prédateurs ne les repèrent. Ils apportent de la nourriture aux jeunes mais, après cinq à sept semaines, ces derniers vont devoir partir et se trouver un territoire
Cet oiseau me fascine, par sa technique de pêche, qui est unique. Je vais donc porter une attention toute particulière au choix de la rivière. Il faudra que la présence de l’Homme soit minimale. Après plusieurs recherches dans la région, je porte mon choix sur le Brevon. Cette rivière, ou plutôt ce torrent, je l’ai parcouru en commençant au pied du Roc d’Enfer où il prend sa source. Il parcourt la vallée de Bellevaux, passe par Vailly et Reyvroz pour rejoindre les Dranses et finir dans les eaux du Léman. Un cheminement difficile et fastidieux entrepris sur plusieurs années mais très riche avec debelles rencontres comme le cerf élaphe, l’hermine et autres mammifères, sans compter les oiseaux.
Je découvre ainsi des sites qui deviendront des emplacements de prédilection pour l’observation, en portant notamment attention à l’ensoleillement et à la facilité de transport du matériel,sans oublier la tranquillité du lieu,facteur essentiel pour la prise de vues
Été 2014, commune de Vailly, près du lieu-dit Les Charges d’en Bas. Avec l’autorisation de la propriétaire pour traverser le terrain en-dessous de sa maison, je peux facilement accéder au site. Il est 9h, j’attends dans l’affût et tous mes sens sont en éveil. Le bruit de l’eau est régulier. En effet, le lit de la rivière à cet endroit est peu profond. Le décor me convient bien, les rochers dans le cours d’eau sont à proximité, espacés et sans obstacles. La végétation clairsemée me permet d’avoir suffisamment de lumière, tout au long de la journée. Seul inconvénient, la route est un peu trop proche à mon goût. Une attente d’une heure et une première apparition de l’adulte, un peu trop loin pour effectuer une photographie. Rester éveillé et contempler la nature est un bienfait. Une manière de se régénérer. J’accumule de l’énergie, vite éliminée lors de la prise de vues. En effet, la concentration est particulièrement intense pour réussir à obtenir un bon cliché tout en restant suffisamment discret pour ne pas gêner l’oiseau. Fin de matinée, le voilà qui s’approche lentement en remontant le courant. Le plumage sur le poitrail, pas totalement blanc, me fait penser tout de suite à un juvénile.
Il plonge la tête la première dans l'eau et s'immerge entièrement, puis ressort rapidement. Il s’installe quelques secondes sur un caillou sans bouger et regarde autour de lui. C’est le moment choisi pour effectuer les clichés. Très actif et méfiant à la fois, il plonge et nage avec aisance en s’aidant de ses ailes, capable de rester jusqu’à une dizaine de secondes sous l’eau. Patience, je le revois dans l’après-midi et effectue de nouvelles images.
Été 2019, je choisis un lieu plus enclavé, toujours sur la commune de Vailly. Plus sauvage et isolé que le premier, cet endroit me convient bien. La perspective sur la rivière est lumineuse, surtout l’après-midi. Il y a peu d’ombre et peu de végétation, ce qui va m’obliger à adapter mon camouflage en fonction du terrain. Il reste à régler le problème du transport du matériel : pas facile en effet de tout prendre avec soi en une seule fois, d’autant plus que le trajet est assez long. Une bonne organisation est nécessaire, et les arrêts sont l’occasion de vérifier le matériel. Je n’ai pas besoin d’arriver très tôt le matin, un confort non négligeable. L’installation se termine vers 9h30. Cette fois, la rivière est différente, encaissée et plus profonde, avec des obstacles. Le bruit de l’eau, plus présent dans ce décor de falaises rocheuses, va me demander plus d’attention aux chants des oiseaux. Installé dans l’affût, j’attends patiemment. Le cincle est furtif. Il effectue des passages au ras de l’eau sans émettre aucun son.
Enfin, vers le début de l’après-midi un adulte remonte la rivière, il est très actif. J’ai tout le temps de bien l’observer avec les jumelles. Magnifique ! Il marche sur le fond, parfois à contre-courant, il bombe alors le dos et écarte légèrement les ailes pour profiter du courant et faciliter sa progression. Il s’installe sur des galets émergents et regarde autour de lui. Dans l’instant, il plonge et recommence à mettre la tête sous l’eau. Lorsque l'eau est plus profonde ou agitée, il étale sa queue et utilise ses ailes pour se propulser et résister ainsi au courant. Pour la photo ce n’est pas simple, le déplacement de l’appareil installé sur le trépied doit se faire très lentement. Sinon, le mouvement risque d’attirer l’attention du cincle et il s’envolera.
Peu de temps après, la chance me sourit de nouveau : le passage d’un juvénile va me permettre de voir la technique de pêche et ce qu’il mange. La nourriture est constituée d’invertébrés comme les larves d’éphémères, de phryganes, de plécoptères. Il peut consommer quelques mollusques et crevettes. Il s’active devant moi, soulève les petits galets avec son bec, fouille les plantes subaquatiques et localise ses proies grâce à sa vue. Ses yeux sont protégés par une membrane appelée nictitante. C’est une paupière supplémentaire, transparente, qui se déplace horizontalement sur l’œil. Ainsi, celui-ci est protégé et lui donne une certaine visibilité. Cette paupière peut être visible quand il s’installe sur un perchoir, lorsqu’il cligne des yeux.
L’après-midi est à son apogée. Après le passage du juvénile, voilà qu’un adulte se présente. Je suis heureux de le voir sur un rocher au milieu du Brevon, en plein soleil. Il pose et regarde dans ma direction. La tente d’affût doit l’intriguer. J’évite de bouger et attends de voir quand il se sentira rassuré. Moins inquiet, il commence à se déplacer. C’est le moment que je choisis pour effectuer les photos, tout en douceur. Après une quinzaine de minutes, il s’envole en remontant la rivière. Il est 17h, le soleil commence à disparaître derrière les falaises, il est temps de ranger le matériel.
Une journée en pleine nature, sans aucune rencontre humaine, c’est un bonheur rare. Un bon moyen de se ressourcer et de faire le plein d’énergie. Le retour à la voiture s’est fait tranquillement, avec le sourire, comme si le poids du matériel devenait secondaire. Des images plein la tête, le retour au domicile me laisse rêveur et enchanté dans la voiture. Le travail ne s’arrête pas là, il reste à traiter les images.
Et ça, c’est une autre aventure.
La météo est aussi un facteur primordial. Tôt le matin, j’arrive sur le lieu choisi et, vers 8h30, je commence l’installation de la tente d’affût proche de l’eau. Cette étape préparatoire va durer une bonne demi-heure. Le moindre détail a son importance. Le positionnement de la tente et son ancrage au sol sont réfléchis afin d’avoir un angle de vision maximal. Ensuite, vient l’étape du camouflage : les filets sont disposés judicieusement afin de bien masquer l’appareil photographique et notamment le téléobjectif, souvent saillant, pour être le plus discret possible.
Ce dispositif est la garantie d’avoir un champ de vision suffisamment large pour bien observer les abords du cours d’eau. Petite astuce : j’emploie un second boîtier photographique, mobile, que j’utilise pour pouvoir photographier à partir des ouvertures de chaque côté de l’affût et m’éviter ainsi d’enlever l’appareil principal du trépied déjà mis en place.
Pour optimiser mes chances, dans les deux jours précédant l’affût, j’avais effectué un dernier repérage, à l’aide des jumelles et dans la plus grande discrétion, pour savoir si mon ami le cincle était toujours présent.
Il m’est parfois arrivé, pendant l’installation de la tente, d’entendre et de voir passer le cincle au ras de l’eau, à quelques mètres seulement de moi. C’est son cri qui m’a surpris et interpellé. Ceci annonçait une bonne journée. Tout le matériel en place, il ne reste plus qu’à attendre sous la tente d’affût en scrutant la nature
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Stéphane Corcelle à l'affût